Et si la solution nous venait de la Culture ?



Les défis majeurs auxquels notre région euro-méditerranéenne est aujourd’hui confrontée nous interpellent tous, des deux cotés de la «mare nostrum». Les transformations sociales qui les accompagnent nous indiquent clairement que nous sommes au seuil d’une nouvelle «ère» dont on ne connaît pas encore les contours, encore moins les détails ou les paramètres. Notre dilemme est que nous continuons à y répondre par les moyens, notamment sécuritaires, auxquels nous sommes habitués mais qui, pour la plupart, ne sont plus efficaces.

L’histoire de l’humanité a toujours connu des périodes de brillances et d’autres de déclin. Chacune de ces périodes avait ses causes et ses conséquences. Mais dans toutes les étapes de la vie, des nations et des civilisations, l’élément référentiel capital a toujours été la culture.

C’est l’élément clé que tout le monde a en partage, le cadre qui peut réunir dans un ensemble cohérant, des éléments disparates et des manifestations diverses et parfois contradictoires. C’est l’unité dans la diversité qui se manifeste sur le plan national avec des caractéristiques régionales mais une référence nationale qui crée le sentiment communautaire. Elle se manifeste aussi sur le plan international où le sentiment d’appartenance à une même entité, une même culture permet à des nations différentes de se sentir proches et partageant un destin commun. L’espace euroméditerranéen en est un parfait exemple.

Au cours des dernières années, cet espace a connu des situations compliquées et complexes qui ont testé ses fondements et mis en évidences ses limites. Pour faire face aux problèmes de la migration et des réfugiés et aux défis de la radicalisation, certains pays de la rive nord de la Méditerranée ont adopté une position de recul, isolant leur territoire par une batterie de mesures aussi difficiles que complexes et par une politique qui repose en grande partie sur l’approche sécuritaire. Le constat est aujourd’hui bien révélateur : ça n’a pas marché ! Cet échec n’est certainement pas dû à un manque de moyens ou d’engagement ; il est dû au fait que cette politique n’a pas inclus un élément majeur : la dimension culturelle.

Ce message, l’UE semble l’avoir aujourd’hui bien compris et elle le reflète clairement dans le document intitulé «Communication Conjointe au Parlement Européen et au Conseil : Vers une stratégie de l’UE dans le domaine des Relations culturelles internationales», présenté le 08 Juin 2016 par la Haute Représentante de l’UE pour la Politique Etrangère et la Sécurité, Federica Mogherini.

Dans ce document, Mme Mogherini présente toute la palette de l’action envisagée et qui repose sur une reconnaissance des multiples facettes et les dimensions multisectorielles de la culture.

Elle précise en effet que « La culture ne se limite pas seulement aux arts ou à la littérature. Elle couvre un large éventail de politiques et d’activités, allant du dialogue interculturel au tourisme, de l’éducation et de la recherche au secteur créatif, de la protection du patrimoine à la promotion des industries créatives et des nouvelles technologies, et de l’artisanat à la coopération au développement (…) La culture constitue également un élément central du développement durable dans la mesure où le secteur de la création peut promouvoir la réconciliation, la croissance et la liberté d’expression sur lesquelles d’autres libertés fondamentales peuvent reposer ».

Trois volets d’action pouvant favoriser le développement des relations avec les pays partenaires ont été identifiés dans ce document:

  • Soutenir la culture en tant que moteur du développement social et économique durable;
  • Promouvoir le dialogue culturel et inter-culturel pour favoriser des relations intercommunautaires pacifiques;
  • Renforcer la coopération dans le domaine du patrimoine culturel.

Un vaste programme est élaboré et met l’accent sur la diversité culturelle reconnue comme un atout, une richesse dans un monde de plus en plus réducteur en terme d’ouverture culturelle et de curiosité innovante. On doit néanmoins garder à l’esprit que si nous considérons la diversité comme une richesse et un vecteur d’épanouissement culturel, d’autres la voient comme une menace : une menace à leur sécurité, à leur bien-être et à leur identité nationale. Les défis que pose la migration, la complexité des agendas Européens, la banalisation des perceptions, la construction de stéréotypes et la manipulation des questions religieuses et culturelles augmentent les risques de radicalisation, d’intolérances et d’isolement et contribuent à présenter la diversité culturelle comme une menace aux sociétés européennes.

Il est clair aujourd’hui que l’apport multidimensionnel de la culture, qu’il soit économique, éducationnel ou social, n’est plus à démontrer. Economiquement, la culture est aujourd’hui reconnue comme un vecteur de développement majeur.

Selon l’Institut de Statistique de l’UNESCO (2016), le commerce mondial des produits de la création dans toutes ses formes a plus que doublé entre 2004 et 2013. De son côté, le rapport mondial «Cultural Times» publié en 2015 par la CISAC et l’Unesco, indique qu’avec des revenus de 2.250 milliards de dollars, en 2013, soit 3 % du PIB Mondial, et 29,5 millions d’emplois, soit 1% de la population active, les industries culturelles dépassent les revenus des secteurs des télécom et représentent plus d’emplois que les industries automobiles européennes, japonaises et américaines réunies (25 millions). «Il est temps de prendre la Culture économiquement au sérieux », a déclaré Mme Irina Bukova, ancien Directeur Général de l’Unesco au moment de la publication de ce rapport.

Dans cet effort et pour la mise en oeuvre de cette nouvelle politique, le dialogue interculturel se présente comme une passerelle incontournable et un atout majeur pour la construction d’un espace de paix, de sécurité et de prospérité partagée, objectif déclaré des signataires de la déclaration de Barcelone de Novembre 1995. En reconnaissant que «la culture, et en particulier le dialogue interculturel, peuvent contribuer à relever les grands défis mondiaux, tels que la prévention et le règlement des conflits, l’intégration des réfugiés, la lutte contre l’extrémisme violent et la protection du patrimoine culturel », la déclaration conjointe du 08 Juin 2016 met en évidence l’importance du dialogue interculturel et le rôle central qu’il joue dans cette nouvelle initiative de diplomatie culturelle.

Le dialogue interculturel reste toutefois un domaine aussi riche que compliqué et feu Président Léopold Sedar Senghor l’a résumé en disant : «En vivant le particulier au maximum, nous atteignons l’aube de l’universel. Une civilisation commune se tourne naturellement vers l’universel, et donc l’égalité, alors que le dialogue se nourrit de la diversité et donc un appétit pour la différence ».

Le troisième volet d’action se rapporte au patrimoine culturel, considéré, à juste titre, comme une manifestation importante de la diversité culturelle qui doit être protégée. Outre son importance historique et de civilisation, le patrimoine culturel est une composante importante de notre être, un identifiant qui nous permet de retrouver les traces de nos ancêtres et déterminer ce que nous sommes aujourd’hui.

Un effort particulier est nécessaire pour protéger ce patrimoine car ce périple de l’humain nous donne notre place dans l’univers et nous révèle celle des autres. Il nous permet ainsi de mieux nous connaître mutuellement et partager ce trésor que nous avons en commun. L’annonce faite au début du mois de Mai, lors de la célébration de la journée de l’Europe, par M. Patrice Bergamini, Ambassadeur de l’Union Européenne à Tunis concernant le projet de restauration du site du Musée de Carthage est une illustration de cet engagement eet de l’importance reconnue de cette dimension dans les relations de l’UE avec la Tunisie.

SE Hatem Atallah
Membre d’Honneur de notre Chambre