La gestion territoriale pour éviter les véritables obstacles au dévéloppement régional

LES EVENEMENTS DE 1978 : UN PASSÉ QUI ECLAIRE LE PRÉSENT

Les émeutes du 26 Janvier 1978 avaient dévoilé de façon brutale le malaise vécu par les populations des quartiers périphériques de certaines grandes villes, soulignant l’échec des politiques territoriales suivies, du fait de la concentration des projets dans les zones littorales et des fortes dynamiques migratoires engendrées. La réponse fut immédiate:
– engagement d’importants programmes visant à intégrer les populations desdits quartiers, et améliorer leurs conditions de vie;
– lancement d’une réflexion stratégique qui allait donner naissance au schéma national d’aménagement du territoire de 1985;
– institution en 1982 du Commissariat général au développement régional (CGDR).

On ne semblait toutefois pas avoir saisi la leçon, puisque la concentration des programmes dans les zones littorales s’était poursuivie, voire accentuée.

On estime que la réalisation d’un projet de 30.000 lits en proximité d’un village de 5 000 habitants permet de créer près de 10 000 emplois directs et générer une population de 50.000 migrants. Un tel effet était volontairement  occulté, pour ne pas évoquer les dégâts importants attendus ni le budget supplémentaire que nécessiteraient les mesures d’aménagement et d’équipement à prévoir pour l’accueil des migrants. Les Gouvernements préféraient positiver et parler seulement de développement touristique, adoptant en quelque sorte la politique de l’autruche.

Pourtant, je me souviens encore de l’action du Ministre du Tourisme en personne, qui présentait ces programmes lors d’une session parlementaire en 1991, après avoir évoqué, dans le même discours, les limites du Tourisme balnéaire et sa faible valeur ajoutée, poussant à opter pour une diversification privilégiant des produits touristiques culturels et écologiques : Les bonnes intentions ne suffisent malheureusement pas, face à la réalité : l’Agence Foncière Touristique devait, fusse-t-il à l’encontre de l’intérêt général, poursuivre la réalisation de ses programmes dans le seul souci de servir des salaires à son personnel. A partir de là, tout est dit : ce n’est plus la fonction qui crée l’organe.

Et ce qui est vrai pour l’Agence Foncière Touristique, l’est également pour les deux autres Agences, Industrielle et d’Habitation ; elles doivent toutes fonctionner uniquement pour assurer leur propre survie, et ce aux dépens de l’accentuation des disparités régionales. La Tunisie est probablement l’unique pays au monde à avoir des opérateurs publics sectoriels qui produisent des parties de villes entières en opposition totale avec ce que dicte la cohérence territoriale, en plus du fait que cela implique une action curative massive par le biais de l’Agence de Réhabilitation et de Rénovation Urbaine, appelée à se mettre à la traîne des effets négatifs que les programmes de ces Agences auront eux-mêmes enfantés. C’est comme si on se mettait à déverser des déchets sur le sol, pour se donner du travail en devant les ramasser.

«Sur le plan de l’équilibre global, cette tendance semble se présenter comme un véritable drainage des ressources avec perte progressive de substance économique et sociale dans les régions arriérées. Et si des options d’aménagement liées à des objectifs d’équilibre peuvent paraitre utopiques, la poursuite de la tendance fait courir le risque d’une évolution irréversible consacrant la rupture entre la bande littorale, cumulant les avantages, et un vaste territoire sous-intégré, restant à l’écart du développement, ne permettant plus de stimuler les investissements et risquant même à terme, de provoquer des explosions sociales».

Le paragraphe ci-dessus, tiré d’une communication datant d’Octobre 1992, est suffisamment éloquent, et n’avait rien de visionnaire, puisque tirant la leçon des événements de Janvier 1978, les mêmes causes étant censées produire les mêmes effets.

Et ni les mesures de désenclavement de certaines régions, ni l’aménagement de zones industrielles condamnées à rester vacantes, ne seront suffisantes pour attirer les investisseurs, surtout face à l’ampleur des flux migratoires engendrés par les vastes programmes urbains localisés dans le littoral accueillant des centaines de milliers  d’habitants. Nous citerons à titre d’exemple, l’aménagement des Berges du Lac de Tunis dont l’un des effets est l’urbanisation totale de la plaine de M’nihla, ou encore le projet de Hammamet-Sud, et bien d’autres.

COMMENT  SORTIR DE L’IMPASSE

Tout ceci pour dire, comment les effets attendus de ces programmes expliquent largement le constat que dévoileront les événements de janvier 2011 avec des disparités régionales plus prononcées, et des risques sociaux atteignant un seuil alarmant, du fait :

  • d’une part, des ceintures rouges décuplées autour des villes littorales ;
  • et, d’autre part, du fort accroissement de l’extrême pauvreté dans les zones marginalisées, que certains spécialistes des stratégies territoriales s’accordent à qualifier de facteur de fracture.

Les réponses des pouvoirs publics n’ont pas été jusque là en mesure d’endiguer cette situation, puisque le fait d’instituer un Ministère chargé du Développement Régional, dédoublait les fonctions d’un CGDR institué depuis 1982. Ceci permettra de lancer les premiers programmes d’équipement, dans un mutisme du Ministère Chargé de l’Aménagement du Territoire, occultant les réflexions stratégiques disponibles, et en l’absence d’une vision globale.

On ne tardera d’ailleurs pas à relever les premiers écarts par rapport aux préoccupations de réduction des disparités régionales, suivis peu après, par une nouvelle relance démesurée, d’autres programmes littoraux, s’inscrivant dans ce même modèle de développement, non durable, qui nous avait conduit là où nous sommes:

  • Aménagement confié à l’Agence Foncière Industrielle, de nouvelles zones industrielles, risquant comme celles qui les avaient précédées, de rester vacantes;
  • Aménagement par l’Agence Foncière Touristique d’une Zone touristique au Nord de Bizerte ;
  • Aménagement par l’Agence Foncière d’Habitation d’une ville à Kalaât Landloss;
  • Relance du projet de Tunis-City, et d’un projet de plateforme financière à Raoued, tous deux situés dans le Grand-Tunis qui connait déjà un fort déséquilibre du marché foncier, au point de compromettre la capacité vitale de satisfaire ses besoins de croissance propre ;
  • Lancement par le Ministère des transports, des études préparatoires d’un aéroport à Utique.
  • Considérant de ce fait, que certains de ces choix sont inappropriés, et en convenant que le Développement des régions intérieures est une condition sine qua none pour assurer la maîtrise des risques sociaux, il faut espérer qu’un recadrage des politiques territoriales puisse intervenir rapidement de façon à :
  • mettre en place un instrument consolidé permettant une lecture des risques des programmes sectoriels structurants, et pouvoir les mettre en harmonie.
  • et redéployer les opérateurs d’Aménagement urbain (Agences Foncières et ARRU) en opérateurs intervenant dans les Régions, pour développer les armatures urbaines des dites régions, seules capables de rayonner sur leurs économies et d’attirer les investisseurs : ces opérateurs pourront également relayer l’Etat par le biais de la maîtrise d’ouvrage déléguée pour réaliser les différents équipements et ouvrages programmés, et qui se heurtent actuellement à un problème de capacité de réalisation.

Il faut par ailleurs, prendre le temps nécessaire pour engager une réflexion profonde et concertée avant de promulguer de nouveaux textes législatifs ou d’installer des Institutions dont l’opérationnalité demandera à son tour une durée longue et des crédits importants.

A l’évidence, seules les solutions consensuelles et murement réfléchies, sont capables d’être pérennes et de faire tenir à l’épreuve du temps, ces édifices importants.

Mr. Fathi ENNAÏFER
Membre  d’Honneur de notre Chambre