Et si on approchait le développement régional autrement…

Travail artisanal du bois d’olivier des régions intérieures de la Tunisie, d’une activité séculaire à une reconnaissance mondiale

A ce jour, les différents Gouvernements qui ont conduit les politiques et les plans de développement économique en Tunisie, ont appliqué pour ce qui est des Régions des stratégies axées autour des «Pôles régionaux structurants».

Si ces stratégies ont connu un succès franc dans les premières années de l’indépendance, leur impact s’est avéré rapidement limité à cause de trois facteurs majeurs, l’étroitesse du marché national, l’absence d’accumulation et de capitalisation régionales  et surtout à cause des choix libéraux entamés au début des années soixante dix.

Certaines régions de l’intérieur  ont vu leur potentiel économique augmenter (Béja, Kasserine, Sidi-Bouzid, Siliana, Le Kef, Jendouba) sans toutefois connaître un effet d’entrainement exponentiel et pérenne.

Les changements climatiques, négatifs dans le moyen terme, ont aggravé les déstructurations du monde rural, contribuant au dépeuplement des campagnes. L’agriculture, donnée fondamentale dans les équilibres sociaux et économiques de ces régions, en est la première victime.  Les circonscriptions urbaines régionales, conçues dans un esprit administratif et dépourvues de structures économiques, sont devenues des centres passifs d’accueil momentané d’une population jeune, diplômée, exigeante, en quête d’une reconnaissance, mais le plus souvent économiquement marginalisée.

Alors que faire dans un contexte d’obsolescence des habitudes ancestrales toujours maintenues et des processus de désaffection globale pris pour passagers ? Les régions de l’intérieur ont-elles d’autres possibilités pour se développer en dehors du schéma budgétaire classique de l’Etat?

Des ressources naturelles inexploitées : Si le littoral a la mer, les régions continentales ont les montagnes et les grandes étendues de terres. C’est au sud de la Dorsale que la misère frappe. Cette région très riche dans l’antiquité par la culture de l’olivier et par ses forêts, et par ses mines et carrières à l’époque coloniale, est devenue aujourd’hui le symbole de la pauvreté et de la désaffection sociale. Toutefois, les mêmes ressources qui ont fait autrefois l’opulence de cette région et dont les conditions sont toujours réunies, ne sont plus considérées comme facteurs de développement régional et dans des cas plus graves, sont exploitées en dehors des régions. Les forêts (chêne, pin d’Alep, romarin, etc., essences et huiles végétales), l’agriculture arboricole (pistachier, oliviers, cerisier, amandier, abricotier, les figues de barbarie, etc.),  l’élevage, l’exploitation domestique des mines forestières, les carrières de marbre, sont autant de ressources abondantes mais très peu ou pas du tout valorisées.

Des ressources culturelles faiblement valorisées : Territoire dont l’occupation est très ancienne, la ceinture continentale de la Tunisie, et la continuité culturelle d’une Numidie utile. Son ancrage culturel, fait d’elle une des régions les plus riches en traditions festives et orales. Les chants ruraux, l’art de la cavalerie, les pèlerinages locaux et aussi les traditions culinaires offrent un potentiel à valeur ajoutée certaine. Ces ressources culturelles réconciliées avec les hommes et attelées aux paysages locaux seraient d’un impact évident sur un développement sur la base des éléments culturels.

Des potentiels patrimoniaux ignorés : Si l’industrie hôtelière et balnéaire a crée une dynamique économique dans le littoral, les ressources patrimoniales, constituent un potentiel de taille pour les régions continentales. Pourvues d’importants sites et champs archéologiques, les régions de l’intérieur recèlent de potentiel pour le développement d’un tourisme culturel à haute valeur ajoutée. Les sentiers de randonnées et les attractions de montagne, les circuits archéologiques, les musées lapidaires, les sites et les parcs géologiques, la muséologie industrielle et notamment minière, les parcs forestiers naturels, sont autant de facteurs de développement régional renouvelables, qui respectent la nature et qui attirent de plus en plus des touristes étrangers et nationaux.

Une nouvelle voie de développement a toutes les chances de se mettre en place à condition qu’on inverse les schémas et qu’on repense autrement la création de la richesse. Cette voie si elle est possible, réaliste et peu couteuse, reste tributaire pour sa mise en dynamique de trois facteurs fondamentaux.

– L’amélioration des infrastructures : Cette opération est à la charge des pouvoirs publics. Le désenclavement de ces régions par l’amélioration des infrastructures routières,  par la signalisation et par des politiques de médiation est une donnée fondamentale. Elle doit être accompagnée d’un plan d’équipement en espaces d’accueil, en services bancaires, en conditions sanitaires et d’hygiène respectables, etc.   

– Un nouveau concept de financement des PME/PMI : les difficultés budgétaires de plus en plus croissantes de l’Etat, nous incitent à repenser les schémas de financement des projets régionaux. Les régions doivent être dotées de structures entrepreneuriales de petite et moyenne taille et adossées à des structures de financement adaptées (micro crédits). Il est plus adéquat que ces structures de financement soient issues de l’épargne locale et mutualisées. Condition pour la rétention des plus values dans les espaces de production et de là garantir le refinancement.

– Des projets transfrontaliers : développer des projets transfrontaliers avec le voisin algérien en vue d’élargir le marché à l’offre mais aussi aux ressources. Une dizaine de postes frontaliers drainent quotidiennement d’importants flux de touristes et visiteurs algériens. Le paysage est frappé par une absence presque totale de relais de repos et de services à la route. Cela va de la sécurité, mais aussi du bien être. Ces routes des fois meurtrières doivent être transformées en lieux d’accueil et en chances de projets pour les régions considérées souvent à risques et de simple zone de transit. Ces régions sont aussi des lieux de mémoire pour nos voisins algériens. Elles peuvent offrir des circuits de visite liées à la mémoire de la guerre d’indépendance ou celle des lieux de culte, etc.

Si on regarde autrement le développement régional, nous pouvons faire de nos régions continentales une force économique dont les leviers sont ancrés au socle culturel et patrimoniale, mais aussi une ceinture pour lutter contre la pauvreté et éradiquer les conditions de formation des forces excentriques (dépeuplement des campagnes, dissidences régionales, terrorisme, etc.).

(Légende photo : Travail artisanal du bois d’olivier des régions intérieures de la Tunisie, d’une activité séculaire à une reconnaissance mondiale)

Mr Ridha Shili
Membre  d’Honneur de notre Chambre