La réforme fiscale en Tunisie 2017
Genèse et fondements

Le système fiscal tunisien n’a pas connu de réforme structurelle, il a connu une évolution par strates, jalonnées par la mise en place progressive et disparate des maillons du système actuel, parmi lesquels figure des étapes phares, telles que la promulgation du code de la TVA en 1988, la promulgation du code de l’IRPP et de l’IS en 1990, le code des droits d’enregistrement et celui de l’incitation aux investissements en 1993, le code des impôts locaux en 1997 et le code des droits et des procédures fiscaux en 2000. A l’occasion de chaque loi de finances, et pour répondre à des impératifs conjoncturels divers, le législateur apporte régulièrement des coups de bistouri à la règlementation fiscale. Cette situation témoigne déjà de la complexité et de la diversité du système fiscal et des sources du droit fiscal.

La révolution qu’a connue le pays en 2011 a mis à nu les problèmes économiques et sociaux qui traversaient le pays, ce qui a mis en cause la politique économique et sociale de l’Etat, et notamment sa politique budgétaire et fiscale. Ainsi, une analyse critique du système fiscal Tunisien est amorcée depuis 2012 au sein de l’administration et en dehors et qui permit de mettre en évidence un ensemble de lacunes rendant la réforme de ce système nécessaire et urgente :

Lacunes tenant au système fiscal en place

  • La complexité, la fragmentation et l’incohérence (on cite : l’inadéquation entre la législation fiscale et la législation comptable) des textes de lois et des sources du droit fiscal.
  • Inégalités et atteinte au principe de l’égalité fiscale : Des régimes fiscaux divers et variés au profit d’activités et de secteurs divers : ce qui provoque des iniquités évidentes et la perte de crédibilité du système fiscal.
  • Une fiscalité locale inadaptée au développement régional
  • Propagation de l’évasion et de la fraude fiscales
  • Administration avariée et mal outillée et qui gagne à être modernisée et à adopter les meilleurs modèles de gouvernance et de transparence.

Lacunes tenant au contexte économique et social

  • Importance du phénomène de l’économie informelle, de contrefaçon, de contrebande et du commerce parallèle : portant préjudice à l’économie nationale et au principe de la concurrence loyale et par conséquent à la justice et à l’équité fiscale.
  • Population au chômage en nombre grandissant, notamment parmi les jeunes diplômés
  • Régions défavorisées et poches de pauvreté parsemées dans plusieurs régions du pays y compris dans les banlieues de la capitale
  • déficit des finances publiques, passant par le déficit des caisses sociales, et l’augmentation des dépenses publiques.

Soutenue par les divers bailleurs de fonds de la Tunisie, la réflexion sur la réforme fiscale devient une priorité nationale annoncée par le gouvernement en 2013 et prends un aspect structuré en amorçant une vision d’ensemble, via un travail d’équipe, de commissions et d’experts visant à :

  • dans un 1er temps, effectuer un diagnostic du système actuel dans le but de déterminer ses failles et d’élaborer les mesures préconisées de la réforme. Cette phase semble avoir été accomplie et il serait utile de connaitre ses aboutissements et ses enseignements.
  • Dans un 2e temps, la mise en application de la réforme. Phase tant attendue et qui n’est pas encore mise en place.

Ainsi, une approche globale a été instaurée depuis 2013 par l’Etat Tunisien, en rapport avec les impératifs de croissance économique, du maintien des équilibres budgétaires, de garantie des droits des contribuables, pour la mise en place du processus de la réforme fiscale, guidée par les objectifs de :

  1. simplification du système fiscal,
  2. réalisation de l’équité fiscale,
  3. renforcement de la décentralisation et promotion de la fiscalité locale,
  4. modernisation de l’administration fiscale
  5. lutte contre l’évasion fiscale.

Depuis 2013, les travaux publiés ou annoncés ont permis de relever que la réforme du système fiscal tunisien se base, désormais, sur les axes suivants :

  • Recherche de l’équité et renforcement de la confiance des contribuables. (Renforcer l’égalité entre les contribuables. Alléger les obstacles à l’activité économique. Formaliser le traitement fiscal pour toutes les entités quelle que soit la forme légale.)
  • simplification des règles fiscales (Simplification du régime fiscale applicable aux petites entreprises. Faciliter le respect des obligations déclaratives. Amélioration de la gestion du régime réel. Alléger la gestion de la TVA)
  • réalisation de la neutralité de la loi fiscale (Neutralité de l’Impôt sur les Sociétés)
  • Alléger la charge fiscale (Réduction du taux d’imposition  Réaménagement de l’assiette imposable par son rapprochement à l’assiette comptable  Adaptation des modalités d’imposition avec la réduction du taux de l’IS (retenue à la source, avance à l’importation,…)  Instauration d’un régime fiscal spécifique pour les PME)
  • renforcement de la fiscalité locale afin de supporter le développement régional
  • modernisation de l’administration fiscale et de ses moyens d’action (Garantir la crédibilité du contrôle fiscale et lui donner un effet dissuasif)
  • renforcement de la transparence fiscale, des règles de concurrence loyale et des garanties pour le contribuable.
  • lutte contre l’évasion fiscale.
  • Promouvoir le civisme et le comportement citoyen : dans le but de Promouvoir le consentement volontaire à l‘impôt.
  • Encourager l’emploi.
  • Renforcer l’efficacité et optimiser les ressources et dépenses publiques.

Ces orientations de réforme, quelque louables qu’elles soient,  permettent-elles de répondre concrètement aux impératifs et aux objectifs pour lesquels la réforme a été pensée ? et d’assoir une vraie réforme-refonte globale du système en place ?

Comment une réforme d’ensemble, de fond peut-elle être amorcée sans principes directeurs ? sans philosophie ? sans principes fondateurs ?… et sans modèle économique clairement tracé et largement partagé ?…

Ces questions restent posées : et le questionnement est d’autant plus légitime qu’il est à souligner que ce train de réflexions a été certes amorcé dans une Tunisie post-révolution, mais en retrait par rapport à l’évolution majeure du système politique tunisien marquée par l’adoption de la nouvelle Constitution en Janvier 2014. Cette évolution ébranle le système fiscal en place, en édictant une démarche inédite, notamment en ce qui est des impôts locaux, des mécanismes de péréquation et de l’égalisation et de l’affectation de cote part des revenus des ressources naturelles :

Article 135 : Les collectivités locales disposent de ressources propres et de ressources déléguées par l’autorité centrale…

Article 136 : L’Autorité centrale se charge de mettre des ressources supplémentaires à la disposition des collectivités locales, en application du principe de solidarité et suivant le mécanisme de l’égalisation et de la péréquation.

L’Autorité centrale œuvre en vue d’atteindre l’équilibre entre les revenus et les charges locales.

Une part des revenus provenant de l’exploitation des ressources naturelles peut être consacrée, à l’échelle nationale, en vue de la promotion du développement régional.

Article 137 : Les collectivités locales gèrent librement leurs ressources ….

Partant, le projet de réforme devrait mettre en place l’équilibre parfait, et ô combien difficile, entre les dits impératifs constitutionnels, les aspirations du contribuable et la consolidation de ses garanties, la gouvernance fiscale, l’augmentation des recettes de l’Etat, et entre l’amélioration du climat des affaires, la simplification des procédures et la promotion de l’investissement et de la création de richesse… L’a-t-il fait ?

Me Badi Ben Mabrouk
Membre de la CTNCI
Avocat à la Cour