Pourquoi et quel Etat-Providence?

Mounir Zalila

Au cours des quelques dernières années avec, principalement, le ralentissement de la croissance, la montée du chômage, l’érosion du pouvoir d’achat, les difficultés de financement de la protection sociale et des infrastructures; se trouvent remises en cause la crédibilité de l’Etat, son efficacité et son adaptation aux nouveaux besoins sociaux.
De fait l’ensemble de ces maux relevés, sont inter liés et leur conjonction amène le plus souvent à cette conclusion que Etat, «bon à tout faire», est donc absent, et voilà que l’on parle de «crise de l’État-providence».
L’Etat-providence est une conception de l’État où celui-ci étend son champ d’intervention et de régulation dans les domaines économiques et sociaux. Elle se traduit par un ensemble de dispositions ayant pour but de redistribuer les richesses et de prendre en charge différents risques sociaux telles la maladie, l’indigence, la vieillesse, l’emploi, la famille.
Pour ce qui est du financement de la protection sociale celui-ci est rendu de plus en plus difficile, en raison du ralentissement de la croissance donc des recettes de l’Etat et de l’augmentation des besoins sociaux.
Quant à la crise d’efficacité; les inégalités se creusent malgré l’effet de l’effort redistributif de la protection sociale. Les dispositifs mis en place par le passé paraissent de moins en moins adaptés aux besoins actuels d’une société qui s’est totalement transformée.
Enfin, les prélèvements effectués sur l’activité économique semblent, pour certains, contre-productifs et nuiraient à la croissance.
D’un autre côté, certains voire une majorité, considèrent que l’État-providence chasse et remplace les solidarités primaires, isole les individus, développe l’assistanat, décourage les producteurs de richesse et nuit à la croissance. Ils remettent en cause l’État-providence en critiquant la redistribution passive et bureaucratique, le coût exorbitant des politiques structurelles ainsi que le manque de transparence et de gestion de l’État-providence. Ce dernier s’accompagne de l’apparition d’une «nouvelle pauvreté» (montée d’un chômage devenu chronique) et d’un taux de croissance passé au rouge vif.
Et comme les ressources de l’Etat ont une limite, celui-ci ne pouvant redistribuer plus qu’il ne perçoit; il finit, alors, par recourir à la dette publique, voir externe, avec les risques encourues d’insolvabilité et pour seule illusion, la fiscalité et la propagande étatique afin de lui permettre de perdurer un certain temps mais certainement pas tout le temps!
En outre, disons-le, les tentatives pour identifier les paramètres de mise en place d’un État-providence équitable et transparent, butent sur la nécessité d’en définir ses contours, ses frontières et ses limites.
Les différents systèmes d’État-providence émergent, certes, dans des contextes de crises sociales, économiques et politiques plus ou moins forts et brutaux, mais leur forme dépend étroitement des arrangements conclus antérieurement, de l’évolution des intérêts sociaux et des idéologies qui animent le débat social au sein des différentes configurations nationales
Comment faire alors dans un pays qui fait face à des infrastructures, notamment scolaires et sanitaires parfois précaires et qui comptent, selon les indicateurs de l’emploi et du chômage de l’Institut national de la statistique, publiés en septembre dernier, un nombre de chômeurs, pour le deuxième trimestre 2020, établi à 746.4 mille, contre 634.8 mille pour le premier trimestre 2020. D’après cette même source le secteur informel continue de peser sur l’économie nationale avec 45% des emplois en grande majorité non déclarés (1,6 millions de personnes)
Il importe dès lors de s’attacher à développer et ou à renforcer une tradition mutualiste volontaire en se fondant sur la loi des grands nombres répartis territorialement. Il devient alors possible de parer à certaines urgences afin, sans en être la panacée, de soutenir l’intervention en attente venant des autorités.
Pour ce qui est des personnes vulnérables la question du droit à l’assistance soulève, depuis toujours, des questions récurrentes : Comment distinguer, parmi les solliciteurs, ceux qui sont réellement dans le besoin de ceux qui veulent vivre « aux crochets de la société » ? Comment éviter de créer ce « piège de la dépendance »? Doit-on demander une contrepartie aux bénéficiaires ou à certaines catégories de bénéficiaires?
Afin de tenter de répondre à un tel questionnement, pousser à la création de fondations autonomes, mais sous contrôle, pour s’occuper de la précarité de certains, pourrait constituer l’alternative. Malgré un tissu associatif relativement développé le pays ne dispose pas assez de réelles fondations capables, grâce aux bénévoles, de prendre en charge efficacement la réinsertion des plus démunis. La « lutte contre la pauvreté » est étatisée et les associations restent dépendantes des ressources publiques. En facilitant, en encourageant et en motivant, les dons alors les fondations pourraient étendre leurs interventions. Ce sont la bienveillance et le dévouement qui donnent les meilleurs résultats contre les insuffisances, la pauvreté et la déchéance.
Car ne perdons pas de vue que l’assistanat ne doit pas rendre les gens dépendants des subsides et allocations accordés; perpétuant ainsi une vieille tradition de paternalisme qui remonte à des temps reculés, imprégnée de cette notion de charité.
Tout individu ne peut être considéré comme un assisté, incapable de se prendre en charge.
La grande erreur, déclarait, voilà déjà deux siècles, l’économiste français Auguste Blanqui, c’est de croire que le gouvernement, quel qu’il soit, peut tout, et de le rendre responsable du sort de chacun, comme s’il pouvait donner plus qu’il ne reçoit, et faire plus pour tous les citoyens réunis que chaque citoyen pour lui-même.
Des Etats-Unis, l’on connaît la célèbre réforme du « Workfare », « travailler pour le bien-être » mise en place dans les années 1970, par Bill Clinton. Une aide sociale qui prévoit que les bénéficiaires, aptes au travail, doivent travailler en contrepartie des allocations reçues. Aujourd’hui il existe un contrôle accru des bénéficiaires de l’aide sociale pour éviter les fraudes et aussi l’obligation pour ceux qui les reçoivent et qui sont âgés de 18 à 59 ans de travailler, au moins; 20 heures par semaine. Les personnes âgées, personnes handicapées ou toute personne qui prend soin d’un enfant de moins de six ans ou celle enceinte, seraient dispensées de cette obligation. Pour combattre l’assistanat, le travail en échange de l’aide sociale reste la meilleure solution.
Toutefois une question reste posée sur le comment remettre sur le marché du travail des bénéficiaires des aides sociales avec un taux de chômage élevé et un salaire minimum en progression sans contrepartie de productivité qui dissuade les chefs d’entreprise à embaucher ? Ne faut-il pas penser à libéraliser le marché du travail afin de faciliter l’insertion des bénéficiaires d’une allocation sociale à reprendre le chemin du travail, l’accès au marché devenant plus ouvert?
Toute la problématique consiste donc à éviter d’entretenir la pauvreté, mais à la réduire. Pour cela, répétons-le, il faut contenir l’Etat-providence et l’assistanat. La meilleure arme contre la pauvreté reste le travail. et de susciter et mettre en œuvre toutes les bonnes volontés. Elles existent, en local comme à l’international. Elles n’attendent que d’être sollicitées par des programmes en cohérence!
Des initiatives existent déjà, qu’elles viennent de l’extérieur par le biais de jumelages interrégionaux, ou des engagements de privés faisant appel à la diaspora ou à des autochtones.
«Plus forte est la détermination, plus décisives sont les actions» disait El Moutanabi
Car autrement comment exiger toujours davantage «d’Etat-nounou», d’aides sociales, d’Etat-providence sans s’inquiéter de savoir comment un pays, déjà largement sur-sur-endetté; va pouvoir payer ou alors doit-on penser que «C’est pas cher, c’est l’Etat qui paie?»

Mounir Zalila
Membre d’Honneur de notre Chambre