Cet arbitrage usité auparavant dans les commerces de grands produits s’est développé d’une façon importante et rapide dans le dernier quart du siècle dernier. En effet l’apparition en 1975 du règlement des Nations Unis en la matière a développé l’usage de cette méthode conviviale de résolution des conflits dans le monde des affaires. C’est à cette période qui a vu l’épanouissement des relations commerciales notamment après le boum du pétrole, que la Chambre de Commerce International a proposé à un arbitre arabe de présider un tribunal arbitral dans une cause franco-africaine.
L’arbitre en question refusa l’offre estimant qu’il n’avait pas l’expérience suffisante pour remplir la mission proposée. C’est alors que la CCI insista auprès du premier ministre du pays de l’intéressé afin d’amener ce haut fonctionnaire a accepter la dite présidence. C’est ainsi que le premier arabe à présider des tribunaux internationaux à la CCI, a été sommé d’entrer dans le monde de l’arbitrage international. Cet arbitre qui avait un cv fourni revint sur son refus lorsque la C. C. I. lui confirma sa confiance et l’informa de l’organisation dans un avenir proche de séminaires d’initiation et d’approfondissement en la matière .
En entrant dans le domaine de l’arbitrage, l’intéressé a bénéficié de la mansuétude et de l’assistance des grands noms internationaux du domaine. Petit à petit, il découvrit un monde où les partis litigantes trouvent dans l’arbitrage des avantages que n’accorde plus la justice officielle, avantage parmi lesquels on peut citer la volonté libre des partis de faire le choix de l’arbitrage au lieu de porter les différends devant la justice, la liberté de choisir les arbitres, le lieu de l’arbitrage , la loi applicable, la langue des débats et la célérité dans la résolution ce qui a pour effet normal d’économiser les frais de résolution.
L’arbitrage était alors une mission noble effectuée par des arbitres neutres, indépendants et compétents, dans des délais brefs en dehors des joutes des palais de justice et des lenteurs des tribunaux officiels. L’élite internationale des arbitres collaborant avec la C. C. I. et d’autres institutions comme la London Court entre autre, ont fait de l’arbitrage non seulement un usage, mais aussi une science et même un art.
Les parties se sont mises à choisir l’arbitrage qui leur assure l’égalité, le droit de la défense et le secret des délibérés et des affaires. L’adage qui avait alors cours était que « l’arbitrage ne valait que ce que vaut l’arbitre ».
A l’époque, les sentences arbitrales étaient spontanément exécutées et on n’utilisait que peu les moyens de recours contre les sentences qui paraissent anormales.
Entre 1975 et pendants 15 ans environ la Tunisie s’est comportée admirablement dans l’arbitrage international grâce à des arbitres de renom qui ont fait honneur au pays, ont résolu des dizaines de cas avec bonheur et ont procédé à la formation d’une relève des compétences en organisant de nombreux séminaires, rencontres et autres réunions.
Ils ont en outre imposé l’adaptation des textes législatifs désuets.
La question qui se pose aujourd’hui est celle de faire le point après la bourrasque de la révolution pour savoir si l’arbitrage n’a pas perdu des plumes en chemin.
La réponse, de notre point de vue est que l’arbitrage comme toutes les autres composantes de la vie nationale s’est dénaturé, voire dégradé. C’est ainsi qu’au lieu «d’arbitrage commercial» on parlerait plutôt de «commerce de l’arbitrage» où la volonté des parties litigantes est remplacée par le monopole des avocats et des juristes qui reçoivent mandat pour gérer les procédures sans soucis du danger de conflits d’intérêts.
C’est ainsi que la célérité n’est plus de mise, les choix sont effectués par les mandataires et on assiste à une multiplication excessive des recours contre les sentences à tout bout de champ.
Ce qui est plus grave c’est que ces évolutions ont eu pour conséquences une juridiction et une judiciarisation de l’arbitrage comme l’a déjà prévu depuis des années le professeur Bruno OPPETIT.
Ainsi, on a assisté à l’extension de l’arbitrage en droit alors que l’essence même de l’arbitrage est l’équité.
Par ailleurs, alors que l’arbitrage était choisi pour éviter l’excès de procédure et sa longueur, les juristes dans les débats arbitraux, passent leur temps dans les chicanes de la forme réductrice au détriment de la défense au fond qui reste l’essentiel du choix des parties.
Quant à la désignation des arbitres, on assiste de plus en plus à la pratique du renvoi de l’ascenseur qui fait appel aux usages des coteries au détriment de la compétence et de la droiture.
Un autre point risque de dénaturer encore plus l’arbitrage, c’est l’intervention de plus en plus des juges et de la magistrature dans les affaires de l’arbitrage qui théoriquement reste de nature contractuelle.
Enfin, l’intervention excessive des pouvoirs publics dans les cas où sont intéressés les entreprises publiques ou mixtes risque d’enlever à l’arbitrage le peu d’efficience qui lui reste, étant entendu qu’ en matière d’arbitrage international, un Etat ne peut se prévaloir de privilèges ni de passe-droit inhérents à l’exercice de sa souveraineté locale.
Enfin Il n’est pas agréable lorsque l’on détient des records de célérité dans plusieurs affaires internationales résolues avec bonheur l’on puisse reprocher les lenteurs et manœuvres procédurières dans les cas nationaux qui durent quelque fois plusieurs d’années comme c’est le cas de la Sotualfa ou celui de la BFT.
Il est à espérer qu’une race de nouveaux promoteurs compétents et droits dans le monde des affaires puisse reprendre le flambeau afin que l’arbitrage redevienne ce qu’il était dans la conception des amiables compositeurs qui rêvaient de semer la culture arbitrale qui n’a guère prospéré du simple fait qu’en 1975 on voulait étendre l’usage libre de l’équité et de la justice , alors que de nos jours , tout un chacun, veut arbitrer pour profiter de frais abusivement élevés.
Personne ne veut se souvenir que l’arbitrage dans son essence était bénévole.
Ces propos concernent surtout l’arbitrage ad hoc et privé car pour l’arbitrage administré et celui intéressant les parties publiques et l’Etat, c’est un autre problème.
Habib Malouche
Membre d’Honneur de la CTNCI